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Everything stood still Francis Agemo
Atlantic est heureux de présenter « Everything stood still », une exposition de Francis Agemo, peintre et sculpteur nigérian.
Pour sa troisième exposition au Bénin, l’artiste travaille sur sa surface de prédilection, le bois, d’une manière inédite. A l’image de nombreux créateurs africains, Agemo trouve ses matériaux autour de lui et c’est dans la rue, sur les chantiers de construction qu’il collecte les planches en bois. Il les assemble pour composer des « toiles » aux éléments disjoints, qu’il sculpte et grave minutieusement lorsque les lattes d’origine ne procurent pas l’effet recherché ou s’il veut l’accentuer, se servant de leurs formes atypiques, des cassures, des trous.
Le choix des planches était d’abord un choix pratique : elles sont partout et faciles à récupérer. Agemo leur a conféré un autre avantage : on peut les détacher les unes des autres et ainsi rendre les tableaux aisément transportables. Finalement le bon sens devient un concept. L’autre objet de récupération qu’il façonne, ce sont les cannettes en métal, sa seconde pièce maîtresse. L’alliance du bois et du métal rappelle les débuts d’El Anatsui, artiste ghanéen installé au Nigéria, qui s’est fait mondialement connaître avec ses monumentales tentures en capsules de bouteille.
Agemo découpe des morceaux d’aluminium qu’il fixe aux planches, mêlant ses teintes industrielles à l’acrylique. Il invente ainsi sa propre palette de couleurs. Si dans ses premiers tableaux, elles étaient éclatantes, vibrantes, gaies, associées à des portraits ou à des scènes de la vie quotidienne, ce n’est plus le cas dans la série qu’il présente à Ouidah. « J’ai réduit les couleurs pour mettre en valeur la teinte organique du bois, ses nuances, ses veines, explique-t-il. Il a une beauté naturelle que j’ai voulu montrer et finalement, cela rend le travail plus puissant ».
Cette sobriété n’est pas le résultat d’une expérimentation artistique mais d’un cheminement personnel. Ce n’est plus le village, la tradition, les rites ancestraux qui nourrissent Francis Agemo, mais Lagos, mégapole de 20 millions d’habitants où il se rend régulièrement. L’opulence y côtoie la misère, les millionnaires y croisent les hustlers, jeunes garçons débrouillards en quête de petits boulots et d’une vie meilleure. L’artiste s’inquiète pour cette jeunesse livrée à elle-même parce que les parents eux-mêmes se démènent pour leur subsistance. Money ! « Il y en a beaucoup au Nigéria mais pas pour tout le monde. Depuis un an, on a un nouveau gouvernement, on est passé d’un parti à un autre mais rien n’a changé pour le peuple, la vie était dure et c’est toujours dur ! », résume l’artiste. D’où le titre « Everything stood still », « tout est resté comme avant ».
Son message est devenu social, politique, son art est tout à la fois revendication et dénonciation : corruption, incurie, inégalités croissantes et de plus en plus choquantes dans un pays riche producteur de pétrole où l’insécurité est grande et les kidnappings sont monnaie courante. Dans son atelier, il travaille avec un groupe électrogène. Indispensable dans des villes souvent privées d’électricité. “Pas d’approvisionnement constant en électricité, enlèvements, banditisme, problèmes de sécurité et bien d’autres choses encore qui détruisent le bonheur de l’homme, cela n’a aucun sens pour moi de faire semblant, nous vivons dans l’obscurité.” Pourtant une forme de douceur se dégage de ses nouvelles pièces. Des silhouettes apparaissent lorsqu’on s’y attarde, elles se fondent dans l’abstraction autour d’elles. Comme les laissés-pour-compte dans une société qui les néglige. Francis Agemo veut leur donner corps. « C’est important pour moi de les montrer parce qu’on ne les voit pas, de les rendre visibles parce qu’ils sont invisibles ».
Francis Agemo, né en 1986 au Nigéria, vit et travaille à Badagry, ville côtière proche de Lagos. Peintre autodidacte, il a étudié les arts à l’université de Delta State d’où il est sorti diplômé en sculpture en 2008. Il a notamment exposé à Londres, Zanzibar et au Maroc, à la Montresso Art Foundation de Marrakech où il est en résidence depuis 2022.